De Greccio à Angers, faire de nos vies des Bethléem

Il faut donner à voir l’invisible de notre société, je crois que c’est le défi que nous avons à relever. Où est l’enfant de la crèche aujourd’hui ?

Noël 1223, le petit village de Greccio, en Italie, est en effervescence. Malgré le froid, nombreux sont les curieux venus assister à un évènement qui bouscule l’ordinaire : une mise en scène de la Nativité dans une grotte, à l’initiative de François d’Assise. 800 ans plus tard, la Famille franciscaine des Pays de la Loire était rassemblée à Angers pour une journée de réflexion autour du thème : « Saint François et la crèche. Quel héritage ? Quel défi ? ».

Le 1er janvier 2022, les supérieurs de la Famille franciscaine publiaient un document offrant une base de travail pour l’organisation des divers centenaires franciscains au niveau local. « Il serait très opportun qu’au niveau national et/ou régional, toutes les activités et les initiatives soient coordonnées par une commission représentative de toute la Famille Franciscaine. »* L’invitation n’a pas échappé à Fr. Serge Delsaut, Gardien de la fraternité de Nantes.

Dès septembre 2022, un comité de préparation fut mis sur pied, dont la coordination a été confiée à Fr. Henri Laudrin, en fraternité à Nantes. « Avec Fr. Serge et Geneviève Guilloux [Ministre régionale de la fraternité franciscaine séculière des Pays de la Loire], nous avons pensé à une célébration à plusieurs niveaux : au couvent nantais, le soir de Noël, à travers une célébration solennelle et une plus large avec toute la Famille franciscaine sur la région », explique ce dernier. Au sein de ce comité, trois gardiens : l’un est capucin, l’autre conventuel et le dernier franciscain. « Nos réunions avaient lieu dans un monastère de clarisses, avec la participation de Sr. Marie Lumière. Lorsque le cadre a été posé, nous avons demandé aux sœurs franciscaines apostoliques de nous rejoindre et d’apporter aussi leurs idées », poursuit Fr. Henri. Un an plus tard, l’évènement est fin prêt.

NOUS LAISSER SAISIR

En ce dimanche 8 octobre, dans la douceur angevine, ils sont un peu plus de 150 personnes venues assister à l’évènement et le moins que l’on puisse dire, c’est que la Famille franciscaine a largement répondu présente ! Toujours dans un désir de rencontre, les organisateurs ont convié François de Muizon, professeur de théologie morale à l’Université catholique de l’Ouest.

Après un temps de prière et la lecture du récit de Greccio (1 C 30, 85), Fr. Dominique Lebon, capucin, Fr. Jean-François-Marie Auclair, conventuel, et François de Muizon proposent, tour à tour, un regard actuel sur l’évènement de la crèche de Greccio : « Cette naissance, cette vie qui nous échappe, nous invite à ne pas adhérer au culte de la performance et à accepter sa propre vulnérabilité » ; « Dans ma vie, puis-je dire que la parole de Dieu est une parole vivante où le Christ vient me rejoindre dans mon quotidien, comme pour les bergers ? » ; « Dans cette scène de la Nativité, apprenons à convertir notre regard dans une attitude de réceptivité, comme François qui ne cherche pas à saisir mais à se laisser saisir. »

François de Muizon, professeur de théologie morale à l’Université catholique de l’Ouest.
Fr. Dominique Lebon, OFM cap.

L’après-midi, une table ronde donne la parole à différents intervenants. Murielle Chevalier, tertiaire franciscaine, nous parle des sens chez saint François vis-à-vis de l’Incarnation. Fr. Dominique Lebon emmène l’auditoire en Algérie à travers son expérience dans une église de l’hospitalité et de l’accueil. Sr. Elisabeth-Marie partage son histoire de vie et des souvenirs associés aux jouets offerts à Noël. François de Muizon insiste sur l’importance de la préparation pour être mieux éveillé à ce qui est plus profond. Un temps d’échanges clos cette table ronde. Fr. Serge Delsaut observe : « La crèche à Greccio n’a été faite ni sur la place du village, ni dans la nature sur un pré. Elle a été réalisée dans une des grottes constituant le couvent des frères de Greccio. François a choisi le lieu de sa fraternité de frères pour réaliser sa crèche avec les gens du village. Un lieu spécifique ! ».

ENDORMI AU FOND DES COEURS

« Nous, frères mineurs et membres de la Famille franciscaine, plus que jamais relevons de défi de Greccio ! » La voix de Fr. Henri résonne dans la cathédrale d’Angers, au cours de la messe qui clôt cette journée. Son invitation est claire : si la rencontre s’achève, elle doit aussi être un point de départ pour répondre à un nouveau défi. Mais duquel s’agit-il ?

Pour le découvrir, il faut remonter à la source, au récit de cette nuit de Noël à Greccio. « Ce soir-là, François veut « voir » l’enfant, raconte Fr. Henri. Mais si l’on suit bien le texte, qu’a-t-il vu ? Rien… Mais un « homme de grande vertu [a vu] couché dans la mangeoire un petit enfant immobile que l’approche du saint parut tirer du sommeil. […] L’Enfant-Jésus était, de fait, endormi dans l’oubli au fond de bien des cœurs. » (1 C 30, 86).

« Dans cette scène, analyse Fr. Henri, ce qui est intéressant, c’est le pas de côté qui est proposé : ce n’est plus François le centre mais le regard est invité à se déporter sur cet homme juste qui nous pousse à voir, par les yeux de l’esprit, ce que la chair ne voit pas : l’Enfant-Jésus. C’est le grand mystère chrétien : dire que nous voyons l’invisible, et le montrer. »

« Aujourd’hui, l’enjeu est là pour nous. Qu’est-ce que nous nous donnons à voir ? », interroge-t-il. « Est-ce que c’est juste une vitrine ou bien notre présence parmi les pauvres ? C’est un vrai défi ! Dieu est venu dans l’invisibilité de notre humanité, c’est-à-dire chez les invisibles de notre société : les marginalisés, les vulnérables, etc. Il faut donner à voir l’invisible de notre société, je crois que c’est le défi que nous avons à relever. Où est l’enfant de la crèche aujourd’hui ? » Une question qui peut nous aider dans notre cheminement vers Noël cette année.

Henri DE MAUDUIT

*Retrouvez le document Un Centenaire articulé et célébré en divers centenaires sur cette page de notre site internet.

Contact