Fr. Florent depuis quand êtes-vous aumônier de prison ? Comment avez-vous débuté cette mission ?
Je suis aumônier de prison depuis octobre 2006. La première fois, j’étais en communauté à Bressoux – Belgique – et le vicaire épiscopal – Mgr Beaudoin Charpentier – m’a demandé si j’accepterais d’être aumônier de prison. J’avais bien certaines craintes mais la communauté de frères m’a soutenu. C’était un nouvel univers pour moi. Un univers non seulement physique mais aussi relationnel, avec des codes et des manières de fonctionner différentes. Après la Belgique, j’ai été en communauté à Lyon et ai souhaité continuer cet apostolat, j’ai été appelé à la nouvelle prison de Lyon-Corbas. J’ai commencé début mai 2009 et j’ai arrêté le 17 septembre 2015. Je m’y suis rendu une dernière fois pour saluer le directeur parce que nous avions tissé une belle relation de confiance. J’ai quitté Lyon-Corbas les larmes aux yeux. Ce fut six années tellement riches. Je suis aujourd’hui au centre de détention de Joux-la-Ville.
C’est une mission très prenante ?
Au début, je faisais cela à temps-plein : qatre jours par semaine plus les réunions. Si la mission est prenante, la première des choses que j’ai appris c’est de ne pas s’imposer. Les détenus peuvent nous interpeller quand on passe dans le couloir. Un détenu peut dire aussi : il faudrait aller voir telle personne ou, c’est déjà arrivé à Lyon, qu’un surveillant nous oriente vers une personne ne va pas bien. C’est sur demande, on ne s’impose pas. Nous sommes disponibles et pour cela il faut venir avec le moins de chose possible et je ne parle pas que des objets physiques mais aussi de l’état d’esprit. Nous sommes les seuls « extérieurs » à pouvoir entrer en cellule. Nous sommes une « porte d’entrée précieuse » avec la société. En une demi-journée, on peut visiter jusqu’à 10 personnes. Aujourd’hui, je fais un peu plus d’accompagnement spirituel car Joux-la-Ville est un centre de détention c’est-à-dire un lieu où les gens purgent une peine. Si la mission est bel et bien prenante je ne visite jamais seul, je visite avec le Seigneur.
Quelle parole apportez-vous ?
Les personnes vous parlent de leur vie, de comment et pourquoi ils sont là, de ce qu’ils vivent en détention pas forcément de religion même si certains demandent un chapelet ou une médaille miraculeuse. On essaye d’abord d’écouter ce qu’ils nous disent par rapport à ce qu’ils ont fait. Certains cheminent d’autres moins. En Belgique, on avait appris cela : « nommer le mal » pour prendre conscience de ce qui a été fait. C’est un chemin vers le changement et vers la conversion. Notre mission c’est de dire que : Dieu est miséricordieux, Dieu est bonté, Dieu est amour, Dieu est pardon, Dieu vous aide à vous guérir du mal que vous avez fait, Dieu vous libère. Certains demandent à se confesser et je connais certains prêtres qui ne donnent pas tout de suite le pardon, ils aident à cheminer jusqu’à ce que le sens de celui-ci soit compris. Je peux dire : « je suis pardonné » mais si je ne vis pas intérieurement ce pardon, Dieu ne me libère pas.
Saint François nous dit : « Dieu m’a donné des frères » mais on ne s’attend pas forcément à ce qu’il nous donne des prisonniers ?
Quand j’ai fait profession définitive en 1993, je ne pensais pas du tout aller en prison. Je questionne encore aujourd’hui cette vocation, est-elle faite pour moi ? Ce dont je suis sûr c’est que je me sens appelé à cette mission, appelé à aller à la rencontre. Je ne fais pas de différence entre les frères que le Seigneur me donne. Une fois que vous passez les portiques de sécurité le surveillant vous dit : « vous êtes chez vous, faites comme bon vous semble ». Je salue certains détenus par un « bonjour mon frère ». Je leur dis « frère » parce que je me sens en profonde communion. Cela peut paraître étonnant mais en prison j’ai vécu des moments de paix et de joie et j’en vis encore aujourd’hui quand par exemple un entretien se passe bien ou quand se réalise un partage en profondeur. Ce sont des joies toutes simples, des petites joies qu’on égrène comme un chapelet. Et puis je porte les personnes dans ma prière, l’ermitage de Vézelay et son cadre en pleine nature aide beaucoup. Je goûte à l’oraison, un temps de prière gratuite, être là tout simplement avec Dieu et lui confier toutes ces rencontres. Certains me disent « prie pour moi, m’oublie pas dans ta prière ! ». Un moment fort fut le baptême d’un détenu de 40-50 ans en juin 2017 et un autre cette année à Pâques, une femme. Je prépare aussi aux premières communions. Alors oui je peux le dire « Dieu m’a donné des frères ».
Concrètement comment devient-on aumônier de prison ?
Pour cela nous rencontrons l’aumônier régional et, après cet entretien et en accord avec l’évêque du lieu, il fait la démarche auprès de la direction inter-régionale des prisons. On reçoit ensuite une lettre de mission. Tout cela bien sûr en accord avec notre frère provincial et la communauté où l’on vit. Ensuite l’administration pénitentiaire a aussi son mot à dire, notre casier judiciaire est contrôlé, on obtient un agrément d’aumônier auxiliaire. Les aumôniers ont des statuts différents selon les fonctions qu’ils assument, fonctions qui sont reconnues par le code pénal. Il y a ceux qui ont pour mission la rencontre individuelle avec les personnes détenues. Ce sont les aumôniers. L’autre catégorie regroupe les aumôniers qui sont animateurs de groupes au sein des établissements pénitentiaires. Leur appellation officielle est « auxiliaire bénévole », ils peuvent être prêtres, religieux ou laïcs. En général on fonctionne en équipe et puis il y a aussi les aumôniers des autres confessions, orthodoxes, protestants, musulmans, juifs… Nous nous rencontrons souvent. Le sujet du Congrès national des aumôniers catholiques de prison qui a eu lieu en octobre 2018 à Lourdes portait justement sur la fraternité. A travers le thème « Aumôniers catholiques, serviteurs de la fraternité », nous avons pu réfléchir à la fraternité entre nous, fraternité avec les détenus, fraternité avec les autres religions. Nous nous réunissons tous les 6 ans et nous sommes plus de 600 à être présents au congrès.