Quand les franciscains érigeaient les chemins de Croix !

De retour en Europe, bien des pèlerins désiraient prolonger l’émotion spirituelle qu’ils avaient ressentie en Terre sainte.

Dès les origines du christianisme, les chrétiens se sont efforcés de suivre le Christ et de méditer sur sa Passion, sa mort et sa Résurrection. Le chemin de la Croix est un exercice de piété datant du XIVe siècle. Savez-vous qu’il a été répandu dans le monde par les franciscains ?

Paul insiste sur la place de la Croix dans la vie du chrétien. C’est en contemplant le Crucifié que les Galates ont été convertis : “vous qui avez eu sous les yeux le Christ crucifié” (Ga 3,1) ; et c’est désormais en lui qu’il met toute sa gloire : “Pour moi, puissé-je ne me glorifier que dans la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ…” (Ga 5,14). Saint Pierre exhortait quant à lui les chrétiens à endurer les souffrances de la persécution en s’associant aux souffrances du Christ : “…le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces…” (1 P 2, 21).

LA DÉVOTION AU MYSTÈRE DE LA CROIX

Quant à François d’Assise, il contemplait le crucifix de Saint-Damien quand il entendit une voix : “François, rebâtis ma maison, qui, tu le vois, tombe en ruines…” Dès cet instant le souvenir de la passion du Christ ne le quitta plus. Nombreux sont ceux, dans la tradition franciscaine, qui ont mis la contemplation du mystère de la Croix au centre de leur spiritualité, comme Angèle de Foligno, au XIIIe siècle, une mystique de la Croix du Christ. Mais aussi saint Bonaventure qui proposera dans son ‘Lignum vitae’ un chemin de croix avant la lettre. Véritable contemplation des scènes de la vie du Christ, mais surtout de sa passion, son ouvrage connaîtra un grand succès et sera réédité durant des siècles. En 1342, les franciscains dont la présence était tolérée par les Turcs reçurent du Saint-Siège la mission de garder les Lieux Saints (Bulle Gratias agimus). Ils accueillaient les pèlerins, les guidaient sur les lieux et organisaient une pastorale du pèlerinage fondée sur la méditation des évènements de la vie du Christ, de sa Passion et de sa Résurrection. De retour en Europe, bien des pèlerins désiraient prolonger l’émotion spirituelle qu’ils avaient ressentie en Terre sainte et imaginèrent des exercices spirituels leur permettant de renouveler mentalement cette expérience. Les franciscains vont alors transposer, en Europe, les exercices auxquels ils invitaient les pèlerins, à Jérusalem.

PARCOURS ET TEXTE ÉVANGÉLIQUE

Le chemin de Croix se confond avec le parcours, évangile en main, du chemin du Christ. Notons que sur les quatorze stations actuelles, cinq ne correspondent à aucun texte évangélique : ce sont les trois chutes de Jésus, sa rencontre avec Marie et le geste charitable de Véronique. La mention des chutes de Jésus a voulu souligner, pour la piété, l’extrême souffrance et la faiblesse physique de Jésus, ainsi que sa détermination à aller jusqu’au bout de son supplice. La rencontre avec Marie, se fonde sur le fait que selon Jean, Marie se tenait au pied de la Croix au moment de la mort de Jésus (Jn 19, 25). L’épisode de la rencontre avec Véronique est une construction plus complexe. “Bérénice” serait la femme qui fut guérie d’une hémorragie (en Lc 8, 43). On imagine que, par reconnaissance, elle se trouvait elle aussi sur la Via dolorosa pour assister Jésus. On changea son nom en “Véronique”, combinaison d’un mot latin et d’un mot grec : vera icôn : “la vraie image”, car une tradition populaire vénère un voile portant l’empreinte du visage du Christ, ainsi qu’en fait mention un manuscrit du VIIIe siècle.

UN PRIVILÈGE FRANCISCAIN

L’édification des chemins de Croix va se multiplier, dans les couvents franciscains, les monastères de clarisses, et les paroisses. Certains prédicateurs célèbres s’en firent les champions comme saint Léonard de Port-Maurice au XVIIIe siècle. On prit alors l’habitude de dresser un calvaire, en haut d’une colline, et on ajouta quelques chapelles sur la route pour établir des “stations” (cf. Kreutzberg en Bavière, le couvent franciscain de Fulda, l’église du Bom Jesu de Gaoiana au Brésil, etc.). En 1731, le pape Clément XII, décida qu’on pouvait établir des chemins de Croix en toutes les églises, mais réservait aux Franciscains de les ériger canoniquement ! Depuis le concile de Vatican II, tout curé peut ériger lui-même un chemin de la Croix dans son église. Il n’est plus nécessaire de faire appel à un religieux franciscain. Le succès de cette pratique de dévotion est à comprendre – comme pour celui de la récitation du Rosaire, né à la même époque – dans le besoin des fidèles d’avoir une méthode simple pour prier sur les mystères du Christ.

Fr. Luc MATHIEU, OFM

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