La place des femmes dans l’Église, la guerre, le cannabis… Autant de sujets sensibles auxquels ose se confronter, face caméra sur le réseau social YouTube, le Fr. Jack Mardesic, frère conventuel à Bruxelles. C’est le concept “Priest react” (en français “Réaction de prêtre”), un projet porté par la websérie Les Médiateurs et son créateur, Benjamin Robichon.

Comment est née cette collaboration avec Les Médiateurs ?
Benjamin vivait au couvent il y a quelques années. Il travaillait pour la pastorale des jeunes avec le désir de servir Dieu et d’évangéliser à travers les moyens de communication actuels. Un jour, il m’a proposé l’idée de faire des vidéos avec la réaction spontanée d’un frère sur l’actualité. J’avoue que j’étais un peu méfiant… J’avais peur de dire des choses incorrectes sur les réseaux et je craignais de faire des vidéos qui soient un peu trop superficielles, sympathiques à regarder mais manquant de sérieux. J’ai donc refusé dans un premier temps et puis Benjamin m’a convaincu ; on a fait un essai. Le style m’a plu et j’ai vu que l’on pouvait s’adresser à un public plutôt jeune, dans un langage simple et accessible. On pouvait parler de choses sérieuses dans un contexte détendu. Concrètement, on a commencé nos vidéos fin 2019 et aujourd’hui, on en fait quatre à cinq par an.

Comment avez-vous discerné cela en communauté ?
Quand Benjamin m’a proposé ce projet, j’en ai d’abord parlé avec mes frères. Ils avaient un peu les mêmes réticences que moi, le monde numérique n’est pas notre point fort ! C’est difficile de discerner quand on a des critères qui sont d’une autre époque. On est tous d’accord qu’il faut que l’on soit présents sur Internet, que l’on soit actifs, mais on ne sait pas comment s’y prendre. On est bien conscients que seuls, nous les frères, nous ne saurions pas faire. On a besoin des jeunes qui nous poussent en avant. On s’est laissés un peu guider et, après discussion, on a décidé de faire confiance à Benjamin. C’était aussi une manière d’encourager son enthousiasme.

Concrètement, comment se déroulent les séances de tournage ?
Nous mettons à disposition la crypte du couvent que Benjamin aménage avec son beau-frère. Il vient avec des lumières, des micros, deux caméras, etc. En amont, ils ont déjà en tête quelques sujets d’actualité sur lesquels me faire réagir. Mais pour que la séance soit la plus authentique possible, Benjamin ne me prévient pas sur les thèmes qu’il abordera, sauf exception. Après un temps de prière, on débute l’enregistrement : on discute ensemble, on réagit à des vidéos qu’il me montre sur son ordinateur, le tout pendant 40 à 50 minutes. On essaie de varier le contenu, le style… Par exemple, dans la dernière vidéo, on a invité une femme afin d’aborder la question de leur présence dans l’Église.

Quel est l’enjeu de cette présence sur les réseaux sociaux ?
Qu’il y ait sur les réseaux sociaux un contenu chrétien capable d’interpeller les gens là où ils sont. Parce que si nous n’occupons pas ce “territoire”, d’autres vont le faire et malheureusement ils le font mieux que nous ! J’apprécie le fait que le projet soit dans les mains d’un laïc. C’est lui qui est à l’initiative, qui organise, qui fait le montage, etc. Sans lui, je n’aurais pas le temps de faire autant de vidéos. Enfin, c’est aussi une manière de travailler en Église, en collaboration. Benjamin connaît beaucoup plus le contenu et ce qui se passe sur les réseaux sociaux que moi. Il me fait toujours découvrir des choses dont je ne soupçonnais pas l’existence !

Comment situez-vous votre parole et celle de votre Province ?
Lorsque je prends la parole dans ces vidéos, je ne fais pas de leçon de théologie. J’exprime simplement mon idée, en confessant que je suis parfois ignorant sur certains sujets. Je donne mon point de vue, avec ma formation chrétienne, sans prétendre donner une parole d’autorité. Mais sur certaines questions, je veille à rester dans la lignée de l’Église. Par exemple, dans la dernière vidéo, en parlant de l’ordination des femmes, à un moment donné je sentais qu’il fallait que je me prononce en expliquant pourquoi je ne suis pas pour et pourquoi l’Église n’est pas pour. Donc je me prononce et je m’identifie bien en tant que frère mineur. D’ailleurs, je porte mon habit pour ces vidéos. J’essaie aussi de faire attention au ton que j’utilise, à ma façon de m’exprimer pour ne pas être cassant. Je pense que si ça passe, si ces vidéos touchent les gens, c’est aussi grâce à la manière dont on dit les choses.

Avec du recul, en quoi est-ce important de continuer cette collaboration ?
Je crois que c’est important que l’Église ait une parole simple. D’abord au niveau théologique, parce que tout le monde a reçu cette mission de la part de Jésus. Les religieux et le clergé, en général, nous n’avons pas assez de force pour tout faire. Les laïcs savent souvent faire des choses beaucoup mieux que nous. On peut donc enrichir notre mission en les incluant, en laissant davantage d’espace, en se laissant aussi interpeller. “Priest react”, ce n’était pas mon idée, je me suis laissé interpeller. Les laïcs ont de bonnes intuitions. Ils cherchent et veulent que l’Église, les prêtres, les religieux, etc., marchent avec eux même si ça nous amène sur un terrain qu’on ne connaît pas. Et en même temps je constate que ma parole là-dedans est importante, la parole d’un frère est autre que celle d’un laïc. C’est important qu’il y ait cette collaboration.

Que diriez-vous pour encourager les religieux à l’utilisation des réseaux sociaux ?
D’abord, j’ai eu de bons retours, plusieurs jeunes m’ont remercié après avoir vu les vidéos et ils m’encouragent. De toute façon, les jeunes sont présents sur les réseaux sociaux. Sans être des experts là-dedans, il faut que nous, les religieux, soyons présents mais aussi entourés par des gens, des jeunes qui savent faire. Des gens qui sont chrétiens, qui veulent servir Dieu et l’Église avec nous. Et là, on peut s’embarquer dans une mission ensemble. On a souvent un regard critique et émettons beaucoup de prudence mais on devrait aussi avoir un peu plus confiance. Avancer avec les deux, la prudence et la confiance.

Fr. Jack MARDESIC, OFM CONV

Pourquoi lire Bonaventure est-il exigeant ?

“Bonaventure a une pensée extrêmement synthétique tout en étant systémique (1) ; on n’est pas habitué à cela, c’est déconcertant !” Fr. André Ménard (2), l’un des experts de la pensée bonaventurienne, explique : “[Bonaventure] est un contemplatif, il ne projette pas ses idées sur les choses mais commence d’abord par capter ce que les choses lui disent. À partir de là, il propose des schémas de méditation qui ne sont pas faits pour être lus au pas de course ! […] Il a des petits modules [des articles de foi] qu’il balade d’une œuvre à une autre et qu’il articule de façon différente. Chez Bonaventure, vous trouverez toujours le même fond de discours mais pris sous un autre angle”. Il termine : “Aujourd’hui de nombreux croyants ont une foi en morceaux, pourtant la tradition de l’Église nous dit que l’intelligence de la foi suppose la capacité d’articuler entre eux les articles de foi”. Frère Bonaventure, en bon pédagogue, nous ouvre un chemin ! Témoigner c’est aussi se former.

(1) Une autre façon de dire que “tout est lié”.
(2) Thèse de Fr. André Ménard : « Les structures de la foi. Contribution à l’étude d’une théologie bonaventurienne », 1971.