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NOÉ ET LE DÉLUGE

L’épisode du déluge vient croiser une des angoisses les plus prégnantes de notre époque : tout peut-il s’effondrer ? pour reprendre le titre d’un livre de Pablo Servigne qui a popularisé la notion récente de « collapsologie ». La succession actuelle de catastrophes naturelles, sanitaires, économiques en serait le signe. Et certains de se poser la question : et si la terre elle-même se vengeait de la violence qu’on lui a infligée ? Face à cette peur collective, nous avons diverses manières de réagir :

– Le déni : le refus ou l’impossibilité de voir ce qui est pourtant sous nos yeux.
– La confiance aveugle en soi, en la science, dans la capacité de l’homme à trouver des solutions aux problèmes qu’il s’est lui-même créés.
– Après moi le déluge ! Puisque tout est foutu, jouissons et festoyons.
– La dépression. Nous perdons confiance en nous-mêmes, nous perdons la foi élémentaire en une vie possible.
– La violence est présente dans chacune des attitudes décrites ici ; violence individuelle ou collective. La violence décomplexée des rapports politiques ou économiques fait peur. Comment l’enrayer ?

Les auteurs du récit de la Genèse n’étaient évidemment pas confrontés aux mêmes problématiques que nous. Mais, si ses effets peuvent être différents, les origines de la violence, elles, sont toujours à chercher dans le cœur de l’homme, comme nous avons commencé à l’explorer depuis le début de notre parcours. Ce récit du déluge est largement inspiré d’autres récits qui avaient cours dans l’Orient ancien durant les deux millénaires avant J.C, dont la fameuse épopée de Gilgamesh. Ce qui est intéressant ici, c’est la manière dont les auteurs réfléchissent à la réaction de Dieu face à la violence des hommes. Va-t-il répondre à la violence par la violence ? Entre le début et la fin du récit, il y a une conversion, non pas de Dieu-même, mais du regard que les croyants portent sur leur Dieu.

Ouvrons le livre de la Genèse, au chapitre 6. Nous sommes un peu décontenancés car deux récits s’entrecroisent, deux traditions différentes, qui donnent au récit une impression de redite, voire d’incohérence. Accueillons le récit tel qu’il nous est donné.
« Les fils de Dieu virent que les filles d’homme étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix. » Qui sont ces mystérieux « fils d’homme », des « demi-dieux » (le récit parle plus loin de « géants ») ? N’est-ce pas une allusion au rêve de toute-puissance de l’homme prenant la place de son Créateur ? Une toute-puissance qui lui permet d’exercer sa convoitise sur les belles filles et de mettre la main sur elles, de se les approprier ?
Mais Dieu les remet à leur place : « Mon esprit ne dirigera pas toujours l’homme étant donné ses erreurs : il n’est que chair. » L’esprit dont il est question ici, c’est le fameux « souffle » (ruah) qui sort l’humain de son animalité. Sans l’Esprit, l’homme retourne à la poussière. Ce qui fait de lui un humain, c’est le souffle qui le relie à son Créateur. Qu’il oublie ce lien, ou pire le rejette, et c’est la porte ouverte à ses pulsions les plus primaires, dont la convoitise qui sème la violence. Souvenez-vous de la bête tapie dans le cœur de Caïn.
« Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal. »
Quel contraste avec le regard premier de Dieu sur la Création : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. […] Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. » Que s’est-il donc passé pour que l’image de l’humain soit à ce point défigurée ? Rappelons ici les repères donnés par Dieu pour que l’homme ait une vie bonne et heureuse :

– Tu es homme et non pas Dieu. Accueille avec gratitude ce que tu es. Le regard bienveillant de Dieu te fait exister, te crée sans cesse, t’appelle à la vie.
– Accepte tes limites, refuse la toute-puissance et la tentation de mettre la main sur les choses et sur les personnes.
– Accueille en toi le manque comme une ouverture à l’autre différent. Le manque est le moteur du désir qui te fera goûter la joie à condition de ne pas tomber dans la convoitise.
– Exerce une douce maîtrise sur la terre qui t’est confiée. Sois le bon jardinier de cette terre si belle et si fragile.

Le début de la Genèse nous ouvre un chemin, nous donne une feuille de route pour humaniser nos vies. Et nous pouvons relire la crise actuelle à la lumière de ces lois de vie. N’avons-nous pas franchi allègrement toutes les lignes rouges, nous brûlant les ailes dans l’ivresse d’une liberté illusoire, semant la violence et la destruction dans notre sillage ? Cette situation est source d’une grande angoisse qui traverse toute notre société, d’autant plus prégnante que nous sommes largement dans le non-dit. Parler de ces transgressions n’est pas politiquement correct. Du coup, nous n’en finissons pas de soigner les symptômes en refusant aveuglement d’en chercher les causes.

« Et le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : j’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, homme, bestiaux, petites bêtes, et même les oiseaux du ciel ; car je me repends de les avoir faits. » Derrière ce constat se dit la souffrance de Dieu face à la manière dont les humains ont usé de la liberté qui leur avait été donnée. N’oublions jamais que la toute-puissance de Dieu est celle de l’amour ; et aimer, c’est risquer d’être broyé par celui que l’on aime pourtant plus que tout. Dieu ne peut sauver l’homme malgré lui. Il ne peut que constater la dérive mortifère que prend le cours de son existence. Un homme, pourtant lui donne de ne pas désespérer de ses créatures : « Mais Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur. Noé, homme juste, fut intègre au milieu des générations de son temps. Il suivit les voies de Dieu. »

Trois qualités font de Noé un homme selon son cœur :
– Il est juste, ajusté au projet de Dieu pour son humanité. Homme de justice, il est empli de compassion pour ses semblables, attentif aux plus vulnérables.
– Il est intègre : il n’y a pas de mensonge en lui. On peut se fier à sa parole.
– Il suit les voies de Dieu. Les voies de Dieu, son chemin, c’est ce que la Bible appelle la Torah, la Loi.

Noé va permettre à Dieu de ne pas désespérer de l’humain, et c’est à partir de lui que va s’opérer une nouvelle création. L’Arche de Noé, ce fragile esquif, va survivre au déchaînement du déluge. Et c’est à partir de ce presque rien, alors que tout paraissait définitivement mort, que va jaillir la vie. Une nouvelle Alliance est offerte aux hommes, qui prend la forme d’un arc-en-ciel. L’arc, symbole guerrier par excellence, devient le symbole de ce qui relie la terre et le ciel. L’arc-en-ciel qui puise sa beauté dans l’harmonique de ses couleurs devient le symbole d’une vie possible quand nos diversités sont reconnues, accueillies et vécues comme une chance.

Un jour, un autre Juste, Jésus, inaugurera une humanité nouvelle ; et sa croix dessinera le lien nouveau entre ciel et terre.
Mais je pense aussi à celui que notre Pape a choisi comme boussole de son pontificat : François d’Assise. Voici comment il nous le présente au début de son encyclique Laudato si’ : « En lui, on voit jusqu’à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure » (n°10). Et dans Fratelli tutti : « Saint François d’Assise a écouté la voix de Dieu, il a écouté la voix du pauvre, il a écouté la voix du malade, il a écouté la voix de la nature. Et il a transformé tout cela en un mode de vie. Je souhaite que la semence de saint François pousse dans beaucoup de cœurs » (n°48).

DES PISTES POUR MEDITER
– Je prends de la distance, de la hauteur et je demande la grâce de regarder le monde avec les yeux de Dieu, d’écouter la vie des hommes avec les oreilles de Dieu.
– Je regarde la terre menacée par les dérèglements climatiques, si belle et si fragile. Je voyage d’un continent à l’autre, contemplant ce monde, cette terre qui m’est confiée.
– Je regarde la vie des hommes, des femmes, des enfants. Ceux qui sont au travail et qui peinent durement parfois. Ceux qui attendent, désœuvrés, qui cherchent du travail. Je contemple les familles, celles qui sont heureuses et celles qui souffrent… Je vois ceux qui détiennent le pouvoir et le font sentir aux autres… et tous ceux qui ploient sous le poids du fardeau…
– J’écoute le cri des hommes, leurs souffrances, leurs appels. Tous ceux qui, peut-être n’ont plus la force de crier, ou ne savent plus vers qui crier…
– Je rends grâce pour les justes d’aujourd’hui, ceux dont la foi et l’engagement nous donnent de croire en l’homme.
– J’intercède pour ce monde qui est le mien, pour ces hommes qui sont mes frères, faisant monter leurs cris vers Dieu.