« J’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché » Gn 2,4-3,13

Le thème de la peur apparaît dans la Bible dès les premières pages, juste après le deuxième récit de la Création. Écoutons :
« Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin au vent du jour, et l’homme et la femme se cachèrent devant le Seigneur Dieu, au milieu des arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et Il lui dit : « Où es-tu ? » L’homme dit : « J’ai entendu Ta voix dans le jardin ; j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché. » Et il dit : « Qui t’a appris que tu étais nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont Je t’avais défendu de manger ? » (Gn 3, 8-11) 

De quoi l’homme a-t-il peur ici ? De la voix de Dieu et de sa nudité. Dieu lui avait-il fait un quelconque reproche pour qu’il en ait peur ? Dieu se promenait en ami dans le jardin, et il avait soif de rencontrer celui-là même qu’il avait créé à l’image de son amour. Sa question retentit comme un appel douloureux, presque une prière : « Où es-tu ? » Il s’agit moins de savoir derrière quel arbre il se cache que de constater que l’homme s’est perdu lui-même. Il ne sait plus qui il est. Il est comme abandonné à sa solitude. Pourtant, Dieu ne veut pas qu’il se perde. Jésus dira dans l’Evangile : « Votre Père qui est aux cieux ne veut qu’aucun de ces petits ne se perdent » (Mt 18,14).

Alors, pourquoi Adam a-t-il peur ? Pour le comprendre, il nous faut remonter un peu plus haut dans le texte. Après avoir modelé l’homme avec la poussière du sol et lui avoir insufflé le souffle de vie, Dieu lui dit : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin. » Insondable générosité de Dieu qui ne garde rien de Lui. Il se donne tout entier parce que l’Amour ne compte pas. Tout nous est donné dans une pure gratuité, une pure grâce. Nous sommes les destinataires émerveillés de l’amour infini.

Puis Dieu pose une limite. Non pas qu’il veuille se garder jalousement une part de sa création en interdisant à l’homme d’y accéder – c’est ce que le serpent suggèrera ‒ mais parce qu’il veut protéger l’homme de lui-même. « Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. » Dieu instaure une limite. Vivre bien et être heureux, nous dit-il, c’est accepter la non toute-puissance : je ne suis pas Dieu, je suis une créature me recevant sans cesse de mon Créateur. Prendre la place de Dieu, se vouloir l’origine de sa propre vie, conduit à la mort…
Or, le serpent vient précisément semer le doute, et donc la peur, dans le cœur de l’homme : puis-je faire confiance en ce Dieu qui pose ainsi une limite ? Ne serait-il pas jaloux de ses prérogatives ? Être libre, ne serait-ce pas m’affranchir de Dieu ? S’exprime ici la peur la plus profonde, la plus enracinée en nous, celle de nos origines : Suis-je le fruit d’un désir amoureux ? Ai-je été désiré, aimé sans condition ? Puis-je faire confiance à cette voix qui s’écrie en contemplant sa création : « Voilà, c’est très bon ! » ? Puis-je me recevoir comme une bénédiction du Père ?

Le péché des origines, qui entraîne la peur et l’angoisse, est l’incapacité de croire en l’amour premier de Dieu, de m’accueillir avec joie et reconnaissance comme son enfant bien-aimé. Nous comprenons alors pourquoi l’homme a si peur de sa nudité : « J’ai eu peur parce que je suis nu. » Le second récit de la Création s’était pourtant achevé ainsi : « Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte » (Gn 1,25). La nudité dans la Bible exprime une position de faiblesse, le manque de protection. L’homme et la femme existent l’un devant l’autre, tels qu’ils sont, sans avoir besoin de se cacher. Ils accueillent le manque en eux, leur faiblesse, et n’ont pas peur de demeurer ainsi l’un devant l’autre. Au contraire, il règne entre eux une grande harmonie, nourrie de l’acceptation réciproque. L’autre, si proche et pourtant si différent, avait fait bondir l’homme de joie : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair » (v.23). 

Or, le serpent vient instiller dans le cœur de l’homme non seulement la peur envers son créateur, mais aussi la peur de l’autre différent. « Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes » (2, 7). Nous la connaissons bien cette peur : peur d’être dévoilé par l’autre, mis à nu par lui. Nous excellons dans l’art de nous cacher, de nous créer un personnage qui tout à la fois nous révèle et voile une partie de notre être. Nous apprenons dès le plus jeune âge à nous protéger du regard des autres.

La conséquence de la peur, c’est la violence. Croyant se protéger, l’homme accuse la femme : « La femme que tu as mise auprès de moi, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre » (2,12). La meilleure défense, c’est l’attaque, dit-on. Et la femme, à son tour, de chercher à se disculper : « Le serpent m’a trompée et j’ai mangé » (2,13). « Ainsi, la première occurrence biblique de la peur de Dieu concerne la relation nouvelle induite par la désobéissance. Ce qui est dire que la peur du divin n’est pas présentée comme une expérience première, originelle, mais bien plutôt comme conséquence de la transgression. Elle est liée à la culpabilité d’un homme qui ne sait plus imaginer Dieu que comme justicier foudroyant, ennemi de sa créature. Désormais, rien n’y fera : l’homme marqué par le péché se formera spontanément de Dieu une image menaçante. La peur de Dieu devient ainsi la grande peur de l’humanité. Par une inversion qui appartient à la logique du péché, Dieu est perçu comme celui qui risquera toujours de faire mourir. Autre leçon capitale du texte de la Genèse : en enchaînant le récit du meurtre d’Abel sur celui de la désobéissance à la parole divine, il invite à relier l’histoire des peurs et des violences qui travaillent les relations humaines au drame initial qui se joue entre Dieu et l’humanité » (Anne-Marie Pelletier, Christus n°212, p.422-423).

PISTES POUR UNE MEDITATION :
– J’invoque l’Esprit Saint pour lui demander la grâce d’accueillir la Parole comme une parole de vie.
– Je relis le deuxième récit de la Création, en Genèse 2,1-3,13.
– Je contemple le regard de Dieu sur sa Création, son projet d’amour pour les hommes.
– J’accueille la peur de l’homme et de la femme. En quoi rejoint-elle mes propres peurs ?
– Je laisse retentir la question de Dieu : « Où es-tu ? »

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