La frontière italienne traversée, Fr. Patrice continue son chemin vers Assise. Un itinéraire qui le fait voyager dans les couleurs de la Ligurie…

Passé les Alpes, le Piémont paraît plus ingrat : des caméras de vidéo – surveillance partout, des chiens pas vraiment sympas, des champs de maïs à l’infini… Pour la carte postale, il faudra attendre des cieux plus hospitaliers.
Parlons-en, du ciel. L’hospitalité d’une terre passe aussi par cette réalité qui ne dit pas d’emblée son nom, mais qui vous tombe dessus, sans vous demander votre avis : la lumière ! Une lumière crue, sans filtre. Plus de montagnes ni de collines, plus de nuages pour l’adoucir. La terre et la poussière blanches des chemins vous la réverbèrent en pleine face. J’ai été bien inspiré de prendre deux clips solaires, j’arrive à les superposer pour protéger mes yeux délicats. Dans quelques jours, le retour d’horizons plus doux, de noisetiers (des champs entiers de Nutella !), puis de vignobles, me la rendront moins violente.

JEUX DE COULEURS

Entrée en Ligurie par Campo Ligure. Une de ces villes de province qui sait comment plaire. Mon regard est happé par des façades aux tons chauds, lumineux. Ici, on n’a pas peur de la couleur – comme les femmes italiennes aiment le maquillage, quel que soit leur âge. Ocre, rose, vert d’eau ou amande, voire plus si affinités avec la façade d’à côté. Un régal pour les yeux. La lumière, toujours vive, en est comme humanisée. Je ne suis pas versé dans l’alchimie des couleurs, mais ne dit-on pas que la couleur est une déclinaison de la lumière ? Les maîtres verriers des cathédrales en sont des témoins illustres. Regarder le soleil en face expose à de graves brûlures. On ne joue pas avec le feu ; en revanche, il est permis de jouer avec les couleurs. Il n’est pas besoin pour cela d’être un grand artiste. Seulement d’aiguiser notre regard, affiner notre perception, se laisser toucher. Se demander ensuite – si on veut aller plus loin – d’où vient que telle couleur à telle place “fonctionne” alors qu’ailleurs, elle ne produit plus le même effet. Ici, c’est une façade d’église baroque qui capte mon attention : rose et verte, rehaussée de blanc, il faut oser… J’y vois toute la chaleur d’un pays latin, moins coincé dans la rationalité du cerveau gauche.
Au fil de ma traversée de la Ligurie, d’autres villages ou bourgs produiront sur moi le même effet. Trois façades par-ci, une placette par-là, une ancienne poste restaurée, s’impriment dans ma rétine, apaisent ma vue et me réchauffent le cœur. Parmi ces façades, dans le bourg de Torriglia, deux sont peintes d’un rouge particulièrement audacieux. M’étant informé, j’apprendrai que c’est le rouge dit “vénitien”. Il porte bien son nom et me fait rêver. Deux-trois photos et je m’en vais, m’éloigne de l’animation, retour à la solitude de la marche…

PASSER DES COULEURS À LA LUMIÈRE

D’où me vient cette sensibilité pour les couleurs ? De mon émerveillement, il me semble, devant tout ce qui participe de la biodiversité. La richesse inépuisable de la palette des couleurs en est une expression privilégiée pour moi. Ainsi, dans la forêt, très présente ici dès qu’on gagne en altitude, je tombe, à proximité d’un ruisseau, sur des magnifiques fleurs bleues sur de longues hampes retombantes. Elles captent les rares rayons du soleil qui arrivent à se frayer un passage à travers les arbres. Qui sont ces belles inconnues ? J’ai appris qu’il existe un rouge vénitien, je découvrirai qu’il existe une variété de gentiane appelée “gentiane à feuille d’asclépiade”, d’un bleu très lumineux.
Dès l’instant où il retrouve la parole, après un long silence imposé par l’ange du Seigneur pour n’avoir pas cru à sa parole, le vieux Zacharie prophétise que son nouveau-né – Jean le Baptiste – préfigurera le Messie attendu, ce “soleil levant qui vient nous visiter”, dans un geste de pure tendresse de notre Dieu pour son peuple (Luc 1, 78). Cette lumière, trop vive pour nos pauvres yeux, nous ne pouvons la recevoir qu’à travers le prisme de ses rayons de couleur. Comme autant de notes d’une partition céleste. Ne passons pas à côté.

Fr. Patrice KERVYN, OFM

« Ici, c’est une façade d’église baroque qui capte mon attention : rose et verte, rehaussée de blanc, il faut oser… J’y vois toute la chaleur d’un pays latin, moins coincé dans la rationalité du cerveau gauche. »

« La lumière, toujours vive, en est comme humanisée. »

Fr. Patrice KERVYN, OFM