“Le jardin me fait voir les choses autrement !”

Frère Fernand Mancel jardine dans sa cathédrale de verdure, au couvent de Nantes.
C’est important que les arbres soient beaux, ils nous aident à voir la beauté de Dieu.

Fr. Fernand Mancel et Fr. Rogatien Desplanques ont la main verte. Au cœur des jardins nantais et parisiens, ils ont accepté que je les suive, de nuit comme de jour ! Retour sur ces quelques heures en immersion.

Il est 21 heures et la visite “by night” va commencer. Le silence est de rigueur et je suis Fr. Fernand qui, à la lumière d’une lampe torche, me guide pour une visite du jardin du couvent de Nantes. “La nuit, ça porte beaucoup plus à la méditation”, me chuchote-t-il. “Et puis on a la chance d’avoir un parc qui est calme. Dieu habite le silence…”, ajoute-t-il un brin poète.

LE JARDIN, CHANTRE DE LA BEAUTÉ

“Le jardin me fait voir les choses autrement !”, lance d’emblée Fr. Fernand qui se consacre au jardin depuis plusieurs années avec une énergie étonnante. Il me montre un arbre autrefois étouffé par le lierre et duquel il a retiré les lianes, “pour l’aider à s’épanouir, à respirer et à retrouver toute sa splendeur. C’est important que les arbres soient beaux, ils nous aident à voir la beauté de Dieu”, confie, dans un large sourire, celui que l’on surnomme ici le “frère ravi”. “Cela me donne de la joie. Quand je suis en haut de mon échelle, je suis heureux comme un écureuil !”, me dit-il dans une joie presque enfantine. Puis il ajoute, comme s’il me confiait un trésor : “Dieu ne peut faire que les trois “B” : le beau, le bien, le bon. Il donne en abondance, à nous de nous en occuper ensuite !” Mais au-delà du beau que l’on peut contempler, le jardin est avant tout pour lui un lieu pour “se préparer à l’éternelle beauté”.
Avant lui, Fr. Rogatien a aussi consacré son énergie à la beauté de ce jardin nantais. Désormais à Paris depuis une douzaine d’années, nous nous rencontrons dans le jardin de la rue Marie-Rose où, sécateur à la main, il taille des rosiers. Tout autour, des dizaines de fleurs s’épanouissent et témoignent d’une volonté de rendre le lieu beau. “J’ai planté des fleurs ici, c’est quand même plus agréable ! En partant de Nantes, j’avais amené des graines avec moi. Il faut agrémenter le jardin pour que ça soit beau. Autrement la terre est nue et ce n’est pas très agréable quand on se promène.” Avec le sourire impatient des prochaines saisons, il s’émerveille déjà : “Là j’ai mis une vigne vierge, c’est tellement joli à l’automne… Et ici, au printemps, tout un tas de fleurs fleurissent, c’est magnifique !”, s’émerveille-t-il. “Le matin de bonne heure, il faut entendre les chants d’oiseaux…” Il lui arrive alors de prier tout en jardinant : “Je rends grâce au Seigneur pour ces beautés.”

Frère Rogatien Desplanques s'occupe de la décoration florale de la chapelle du couvent franciscain de Paris.
De la beauté du jardin à la beauté de la liturgie, avec Fr. Rogatien.
©Guillaume Poli pour OFM France-Belgique
Frère Fernand Mancel jardine dans sa cathédrale de verdure, au couvent de Nantes.
En haut de son échelle, Fr. Fernand taille la voûte de sa cathédrale de verdure.

QUAND LA CRÉATION SE FAIT ÉGLISE

La visite nocturne continue dans le jardin nantais. “L’homme bêche, creuse, sème, mais qui fait pousser ? On oublie Dieu dans notre société !”, interpelle Fr. Fernand. Car avant d’être un simple lieu d’agrément, le jardin revêt, pour lui, une véritable dimension spirituelle. Il me conduit alors dans ce qu’il nomme sa “cathédrale de verdure”, une nef d’eucalyptus, hêtres, peupliers, etc. qui s’élèvent au fond du jardin du couvent. “Regardez cette belle voûte, c’est magnifique…”, me dit-il les yeux brillants, désignant les hautes branches en écartant les bras. “Ici, ça change de jour comme de nuit. Parfois c’est calme et puis parfois c’est très agité ! Comme la vie quoi”, lâche-t-il en toute simplicité. Et si les arbres peuvent dire quelque chose d’une vie, ils sont aussi symboles de la vie de l’Église pour ce frère bâtisseur. “Les racines d’un arbre, c’est un peu comme la vie contemplative, c’est une chose qui ne se voit pas mais qui est importante pour la vie de l’Église.” Ici d’ailleurs, dans le chœur de cet édifice végétal où une souche fait office de cathèdre, sept pierres rappellent les dons de l’Esprit saint et une branche dressée symbolise la crosse épiscopale. “Tout est prière pour moi !”, se réjouit-il.
Si elle n’est faite que de piliers végétaux, la décoration florale de la chapelle du couvent Saint-François à Paris ne fait pour autant jamais défaut. Depuis six ans, toutes les semaines, Fr. Rogatien renouvelle les compositions florales qui participent à la beauté des offices. Et les fleurs du jardin n’y sont pas pour rien ! “Il faut que ça soit beau, cela fait partie de la liturgie !” Il met d’ailleurs un point d’honneur à respecter les temps liturgiques dans le choix des couleurs de ses bouquets. Presque comme une confidence, il ajoute dans un sourire : “Et je suis sûr que certains viennent à la messe pour les fleurs !”

Frère Fernand Mancel et l'un des frères jardiniers au couvent franciscain de Nantes.
À Nantes, si vous cherchez Fr. Fernand, c’est au jardin que vous le trouverez sûrement !
Frère Rogatien Desplanques coupe les rosiers dans le jardin du couvent franciscain de Paris.
Joie du travail bien fait, surtout quand on sait que d’autres peuvent en profiter !
©Guillaume Poli pour OFM France-Belgique

UN LIEU FRATERNEL

Fr. Rogatien part ensuite faire un tour du jardin. Je lui emboîte le pas. Il pose un regard sur chaque plante, l’œil exercé et familier avec tous les recoins de cet écrin de verdure en plein Paris. Lui qui y consacre deux heures par jour connaît chacune des espèces et est à l’affût du moindre changement dans une inquiétude presque maternelle. À l’image du néflier du Japon qui ne fleurit habituellement qu’à partir du mois de décembre. “Ce n’est pas normal”, s’inquiète-t-il.
Si ce souci porté aux plantes dit quelque chose de sa relation à la Création, le jardin est aussi, pour lui, un lieu d’ouverture qui prend son sens lorsqu’il peut faire plaisir aux autres. Ainsi se réjouit-il en évoquant les frères qui ont pu profiter du jardin lors du confinement ou même les personnes de passage lors des dernières Journées du Patrimoine.
Rue Canclaux, à Nantes, c’est une visite d’un autre type qui se poursuit. Depuis le “parvis” de sa cathédrale, Fr. Fernand me conduit sur un petit sentier qu’il entretient impeccablement, où l’eau de pluie peut s’écouler sans encombre et les pieds se poser sur de solides marches. Comme si l’espace était pensé pour des visiteurs. “S’il y a un frère qui est content de se promener dans le jardin, eh bien je suis content de l’avoir entretenu propre pour qu’il ne trébuche pas ! Aplanissez les chemins…”, dit-il en référence au chapitre 3 de l’Évangile selon saint Luc. “C’est essentiellement fraternel.” Dans un sourire complice, il tire alors la métaphore : “Les arbres c’est comme les frères : il y a en a qui poussent de travers, qui sont complètement tordus, mais c’est beau !” Par pudeur, je ne lui ai pas demandé les noms des frères qu’il attribue aux arbres, mais nul doute qu’il prend le plus grand soin de chacun !

Henri DE MAUDUIT

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