Chapelle, archives, librairie, lingerie, porterie, économat… Au couvent de Paris, les bénévoles sont partout et l’on se demande même où ils ne sont pas ! Beaucoup d’entre eux sont arrivés grâce à l’association Lumière d’Assise, créée dans le but d’aider le chapelain et d’organiser des sorties et des activités pour les fidèles. Comment vivent-ils leur bénévolat auprès d’une communauté franciscaine ? Quel regard portent-ils sur leur relation avec les frères ? Ont-ils des attentes particulières ? En frères leur donne la parole…
“Je fais le ménage tous les lundis depuis 1989. Au début j’ai commencé par l’escalier et l’entrée, je faisais même les WC qui étaient en bas ! Après j’ai fait la chapelle, puis le chœur.” C’est avec une simplicité presque déconcertante que Ghislaine, bénévole au couvent de la rue Marie-Rose à Paris, me parle de son service. J’écoute, les yeux écarquillés. Depuis 30 ans, tous les lundis matin à 9 h précises, elle est présente avec une petite équipe de bénévoles pour le nettoyage de la chapelle. Sa fidélité m’impressionne, “mais Claude cela fait encore plus longtemps !”, me lance-t-elle.
À 90 ans, Claude est la doyenne des bénévoles de la chapelle. Je pars à sa rencontre pour découvrir son histoire : “Un jour, un frère est venu me chercher pour me demander si j’acceptais de venir faire le ménage au couvent. J’ai dit “d’accord, je ferai ce que je peux.” Et ça fait 50 ans que ça dure !” Et l’étonnement se réitère, mais, cette fois, il ne vient pas de moi mais du frère Alejandro, présent lors de notre discussion, qui laisse s’échapper un sonore “oooh !”
Si cette fidélité inscrite dans le temps suscite l’admiration, c’est surtout la simplicité avec laquelle les bénévoles parlent de leur engagement qui surprend le plus. Au service des frères depuis des années, des décennies pour certains, ils se confient avec la plus grande simplicité. “Je fais ma part comme je peux”, poursuit Claude.
LA FIDELITÉ DANS LE SERVICE
Dans le petit bureau de l’accueil du 7 rue Marie-Rose, à Paris, c’est aussi dans la simplicité que le visiteur est accueilli. Anne, fidèle au poste, s’occupe de la porterie depuis 2004, deux après-midi par semaine. Prendre les appels, ouvrir la porte d’accès, orienter des visiteurs curieux… Derrière le “comptoir”, son sourire et ses yeux brillants sont le premier contact avec le couvent. Elle fréquente les lieux depuis 1955 ! De 2004 à 2019, elle occupait aussi le rôle de sacristine. “Je vais où on me demande d’aller”, dit-elle simplement. Aujourd’hui, ce qu’elle aime dans ce service à la porterie, c’est la rencontre : “Je me souviens d’une personne qui est passée un jour, il y a bien deux ou trois ans et qui m’a demandé si elle pouvait monter à la chapelle. Puis elle est redescendue et m’a raconté tous ses malheurs. On a parlé un petit peu, j’ai essayé de la réconforter. J’avais alors une image de la Sainte Vierge. Cette personne ne pratiquait pas beaucoup mais elle a accepté avec joie l’image et est repartie très contente !” Anne l’a bien compris, la porterie c’est avant tout le lieu de la rencontre et non le standard d’un bureau administratif. Cette délicatesse se retrouve jusque dans les moindres détails : “Parfois, je laisse volontairement la porte principale du couvent ouverte, parce que quand il fait très beau, les gens rentrent.” Être au service des frères, c’est d’abord être au service des personnes qui fréquentent ce couvent ou sont appelées à le découvrir.
Le service est aussi un lieu fraternel. “On fait toujours le ménage dans la joie !”, s’exclame Ghislaine. Pour Annick, bénévole depuis sa retraite il y a une dizaine d’années, “c’est aussi le plaisir de nous retrouver.” En charge du nettoyage du linge d’autel et des chaises de la chapelle, Claude apprécie “que tout le monde puisse être soi-même, comme les frères qui sont tous très différents les uns des autres.” Car oui, les bénévoles connaissent bien les frères. Si la fraternité, la simplicité et la fidélité sont au cœur de leur service, cela rejaillit aussi dans la relation qu’ils entretiennent avec les franciscains.
UNE RELATION DE PROXIMITÉ
“Les frères m’appellent Mamie Claude !”, dit spontanément la nonagénaire. Et ces petits surnoms en disent long sur la relation d’amitié que les bénévoles entretiennent avec les frères. “Ce que j’aime ici, ce sont les liens d’amitié qui peuvent se créer avec les frères. Moi, je les trouve tous merveilleux tels qu’ils sont ! La joie, l’ouverture, pouvoir discuter avec l’un ou échanger un carré de chocolat avec l’autre. Ils prennent de mes nouvelles aussi. Il y a toujours un échange d’amitié et de simplicité, c’est ce que j’aime chez les franciscains”, partage Anne.
Au même moment, un frère entre dans le bureau pour prendre quelques papiers et rapidement des taquineries s’échangent et révèlent une belle complicité, spontanée et fraternelle. Sa mission d’accueil est double : elle se situe des deux côtés de la vitre, tournée vers l’extérieur comme vers l’intérieur du couvent.
Et l’amitié se tisse. Comme Anne, Claude invite parfois l’un ou l’autre frère chez elle, pour déjeuner ou dîner. “J’ai eu des relations d’amitié extraordinaires avec des frères”, confiet-elle. Annick aussi se souvient de certains frères qui l’ont marqué, comme le frère Marc qui “rayonnait de l’amour de Dieu ! Ce que j’aime, c’est leur grande ouverture d’esprit.” “Et une grande liberté d’être ce qu’on est !”, complète Claude, “ils nous respectent et nous laissent libres.” Pour Ghislaine, cette relation avec les franciscains était surtout vécue grâce à son engagement dans la chorale. “Après la messe du dimanche, on prenait un café, on discutait ensemble et ensuite, on partageait un repas. Et puis il y a eu le Covid…”
Le Covid… Près de deux après la première vague, il revient inévitablement sur toutes les lèvres. “Ça a été difficile lors de la pandémie, confie Annick, une souffrance de trouver la porte close.” “Le Covid a tout cassé, mais on retisse !”, lance Annick pleine d’espoir ! Aujourd’hui par exemple, une chose demeure : le café des bénévoles. Depuis 2005, tous les lundis matin vers 10 h 30, le silence retombe dans la chapelle, l’aspirateur et le chiffon à poussière cessent de s’agiter. Les bénévoles se retrouvent autour d’un café et de viennoiseries pour une pause mais aussi un temps d’échange et d’amitié avec les frères. “Ça nous fait un lien avec eux, on bavarde de choses et d’autres, on n’est pas toujours sérieux”, confie Anne. “C’est un temps convivial, et puis ce sont des amis ! On invite les frères, ceux qui sont libres.” Actualité, spiritualité, humour… On y parle de tout mais on se souvient aussi des anciens bénévoles ou des frères qui vivaient autrefois dans la maison, comme le frère Cyrille de Raimond qui fut à l’initiative de ce café. “Un jour, il est monté dans la sacristie nous apporter du café et des petits gâteaux secs. Et plus tard, je me suis dit : pourquoi ne pas apporter des viennoiseries ? Et depuis j’en amène”, raconte Ghislaine.
Ce lien d’amitié dépasse aussi le temps et l’espace. Car si les frères vont et viennent au gré des Chapitres, les bénévoles, eux, restent. De Nantes à Brive en passant par Paris, j’ai été étonné de la force de ces liens. Plus d’un m’ont demandé de saluer des frères de leur part lors de mes déplacements : “Ah vous allez à Brive cette semaine ? Eh bien vous saluerez le frère Henri pour moi alors !”
AU-DELÀ DU BÉNÉVOLAT
Régulièrement je saisis, au fil des témoignages, qu’il y a quelque chose de plus profond derrière le rôle de bénévole. D’ailleurs, le terme n’est pas toujours accepté, comme pour Claude qui préfère parler d’accompagnement : “J’accompagne les frères afin qu’ils puissent remplir leur mission. J’aime bien aider les personnes qui sont au service des autres. Moi, je n’ai pas le courage, par exemple, d’aller visiter les personnes qui sont en prison, je suis trop sensible mais la chose m’intéresse. Donc j’aide les personnes qui sont capables d’y aller.”
D’une autre manière, Annick accompagne parfois les frères étrangers lors de leur arrivée dans la capitale, comme frère Alejandro pour une visite de Chartres. Ce lien fort s’exprime aussi dans les épreuves. Lorsque Claude perd son fils dans un accident, elle est touchée par le soutien des frères : “J’avais perdu la foi et je voulais quitter l’Église. Un jour, c’était le Vendredi saint, un frère s’est rendu disponible et il a eu le mot qu’il fallait dire. Il m’a remis sur les rails et je suis repartie à fond !”
Car au-delà du service, ou plutôt au cœur de ce dernier, il y a également une dimension très spirituelle. C’est une façon de vivre sa foi. Ainsi, pour Annick, le ménage de la chapelle lui permet de donner sens à sa foi : “Pour moi, quand on vient nettoyer l’église, on est des petites Marthe ! C’est un mode de prière, très souvent je prie quand je fais le ménage.” Claude également confie que lorsqu’elle nettoie les chaises de la chapelle, elle “prie pour ceux qui ne viendront pas à l’église s’y asseoir…” Je découvre alors une vision du service, certes au sein d’une communauté de frères, mais aussi pleinement tournée vers l’extérieur. “Quand je fais le ménage, dit Annick, je nettoie la maison de Dieu. On essaye de la tenir accueillante et propre pour les gens, de rendre beau le lieu de Dieu.” Et Ghislaine de conclure : “comme disait le curé d’Ars : il n’y a rien de trop beau pour le Seigneur !”
Henri DE MAUDUIT


Les multiples casquettes de Florette
Bénévole au couvent Saint-François à Paris depuis près de 40 ans, Florette est ici presque chez elle. Discrète, il est néanmoins difficile de ne pas la remarquer tant elle est présente dans la vie du lieu : sacristine, responsable de l’économat pour la location de salles, gestion du lectorat et de la quête, préparation de l’autel… Retour sur son histoire avec le couvent.
Tout a commencé par la messe. Dans les années quatre-vingt, les frères se posent la question de maintenir ou non celle de 7 h, faute d’aide pour les préparatifs. À l’époque, Florette est salariée chez Sanofi. Depuis Cachan, son domicile au sud de Paris, elle se rend à la Défense tous les matins mais aime commencer sa journée par la messe. Elle propose alors de rendre service “pour maintenir cette messe” : préparer l’autel, le mettre en ordre à la fin de l’office puis le préparer à nouveau pour la messe de 8 h avant d’aller travailler.
Plus tard, peu de temps avant sa retraite, consciente des difficultés financières du couvent, elle crée une association pour louer des salles au rez-de-chaussée. Elle prend alors le projet en main : gérer le planning des réservations, les factures et les contrats, vérifier que la salle est prête, que le matériel est en place, que les repas sont pris en compte et, enfin, transmettre les consignes aux frères. Cela dure une dizaine d’années, jusqu’en 1991 où elle prend alors sa retraite et devient bénévole à plein temps pour la communauté. Car si elle est ici, c’est avant tout pour “décharger les frères, leur permettre d’être disponibles aux laïcs.”
Aujourd’hui, elle est présente tous les jours de la semaine au couvent, même le week-end ! En plus du ménage dans la partie administrative du bâtiment et les préparatifs des messes, elle travaille dans le bureau de l’économat en tant que responsable pour la location des salles, dans une relation de confiance avec les frères. Parlant avec humilité de son rôle ici, elle a bien conscience pour autant que le jour où elle ne pourra plus remplir sa mission, “ils fermeront le service de location des salles…”
Si elle apporte son professionnalisme au service de la communauté, Florette sait aussi faire preuve d’une grande bienveillance, presque maternelle, envers les frères. Ainsi, elle décide un jour de mettre en place un planning mensuel pour les messes, afin de s’assurer qu’un frère soit bien là pour la célébration. “Je ne peux pas courir chaque jour pour chercher un prêtre !” Car auparavant, lorsqu’il y avait une messe à 7 h, il fallait s’assurer qu’un frère serait bien présent pour les fidèles. “Si personne n’était là, il fallait que j’appelle le frère dans sa chambre, parce qu’il oubliait de se réveiller !”
