Fr. Michael Perry était de passage à Paris au printemps dernier. Ancien Ministre général de l’Ordre, il nous partage, dans un français impeccable teinté de son léger accent américain, comment et avec quels désirs au cœur il a vécu ces mois de transition…
Nous sommes le 2 août 2021. Après huit années à la tête de l’Ordre des frères mineurs, Fr. Michael Perry quitte la “Curia generale” d’où l’on contemple l’un des plus belles vues de Rome. “J’ai été au service de mes frères et cette charge ne m’a jamais appartenu. C’est le cœur de notre vie franciscaine : vivre sine proprio, sans rien en propre”. Cela semble presque évident tellement l’homme est serein. Immédiatement avant l’élection du nouveau Ministre – qui se déroule au cours du Chapitre général – il a donné sa démission et demandé librement pardon à ses frères pour ce qu’il a fait, n’a pas fait ou aurait dû faire. La page s’est tournée. “Dire qu’en 1982, juste avant de partir pour le Congo, j’étais passé à Rome. Je m’étais dit que jamais je ne voudrais habiter ici !”. C’est au final douze années qu’il aura passé dans la ville éternelle !
Nous aurions envie de revenir sur cette période, les orientations prises, les grands défis de l’Ordre et toutes les initiatives qu’il a découvert de par le monde, mais Fr. Michael a les deux pieds dans le présent. Temporairement en fraternité à Chicago, il a pris le temps de bien préparer cette transition grâce à son Provincial qui lui a répété : “On n’est pas pressés de te voir revenir en Province, prends le temps qui t’est nécessaire”.
SE METTRE À L’ÉCOUTE
Alors après un bref détour en famille, il a pris la direction de l’Alaska ! “J’avais lu le livre de l’auteur suédois Erling Kagge, Silence : in the Age of Noise*. L’histoire d’un homme très riche qui a pris quelques mois pour prendre de la distance. Il est parti dans le Grand nord. Cela m’a inspiré […] J’avais besoin de me “détoxifier”, de me reposer moi qui suis, par nature, toujours pressé ! Puis, à la Curie, on est toujours en mouvement”… D’un avion à un autre pour visiter les réalités de l’Ordre ou, quand on s’appelle Michael Perry, sur un vélo, au risque de quelques chutes !
Au programme de ces premiers mois : célébration de messes, visites dans les écoles – “pour écouter les présentations sur le monde” – et aux personnes âgées, le tout à pied malgré l’installation de l’hiver (-10°C) ! Et celui qui désirait le silence et la présence des frères a été comblé. “Le pape François insiste beaucoup sur l’écoute. Il faut nous remettre à l’écoute de la voix du Seigneur, de la voix des pauvres et du cri de la Terre. Un des grands enjeux de notre temps réside dans l’écoute et je pense que c’est justement le rôle de l’Église : offrir des espaces d’humanité, des jardins physiques ou mentaux, où les gens peuvent venir et se sentir aimés, parce qu’écoutés sans jugement et respectés” dit-il en regardant le jardin verdoyant de la rue Marie Rose. “Parfois, face aux problèmes ou aux difficultés de la vie, il ne s’agit pas tant de résoudre que d’apprendre à vivre avec. Et je crois profondément que notre mission, en tant que frère et chrétien, est d’apporter une lumière par notre écoute et notre présence. Une lumière qui ne chassera pas totalement l’obscurité mais qui permettra de la traverser”.
ENTRETENIR NOTRE SOIF D’HUMANITÉ
Après l’Alaska, cap sur la Colombie pour deux raisons principales : étudier l’espagnol en retournant sur les bancs de l’université – “afin de toujours continuer à apprendre” – et “dialoguer avec les gens sur le processus de paix et son impact au niveau local”. Il revient sur les décennies noires traversées par les Colombiens.
Anthropologue de formation, Fr. Michael ne sait pas et ne veut pas “faire sans” l’autre, il aime “vivre avec”. Il poursuit : “Dans la vie, on est toujours observant et participant. Alors partout où je vais, j’essaye d’être attentif aux gens et au contexte en présence. Quand on veut “vivre avec” ou prétendre construire quelque chose, il faut savoir avec qui l’on est”. Ses séjours dans différentes réalités du monde sont l’occasion d’un “travail sur et avec l’humanité”. “Humanité, foi et identité” partage-t-il en écho au Chapitre général extraordinaire de Medellin, en 1971. “Il nous faut en permanence nous “former” à l’humanité pour être des croyants missionnaires. L’identité, elle, est toujours “en construction” comme sur les sites Internet !”. Cela, il l’a appris en famille et avec ses [quatre] frères au fil des années. “Dans la vie, on n’est ni plus ni moins que ce que l’on peut construire ensemble. Je suis frère et si je l’oublie, il n’y a plus rien. Je suis frère dans la fraternité et frère dans l’humanité”.
À SA JUSTE PLACE
Quand on l’interpelle sur d’autres responsabilités ecclésiales auxquelles il pourrait être appelé par Rome, il se positionne franchement : “Je l’ai déjà dit aux cardinaux, je trouve triste que l’Église locale n’arrive pas à former et à identifier ses propres responsables. Je crois que Fr. Giacomo Bini, Ministre général de 1997 à 2003, était du même avis : les frères se doivent d’être disponibles pour l’Église et lui rendre service mais quand je vois un religieux nommé évêque, quelque part cela me désole. Nous, religieux, avons autre chose à offrir à l’Église. Ce n’est pas une contradiction mais une distinction, nous ne sommes pas là pour administrer un diocèse mais pour être présent au monde et aux peuples.”
Alors la “suite”, si on peut l’appeler ainsi, s’écrira pour Fr. Michael en Afrique, au Kenya et au Sud-Soudan. Toujours avec ce même questionnement sur la réconciliation des peuples qu’il entend mettre au service du plaidoyer de l’ONG Franciscans International dont il assure la présidence du Conseil d’administration. Fr. Michael se prend même à rêver de retourner en Syrie tout en restant docile à l’Esprit : “Je ne sais pas où je vais terminer” lance-t-il réjoui et le regard pétillant. Nul doute, ce chercheur de Dieu en l’Homme n’a pas encore fini sa route !
Émilie REY
* Erling KAGGE, Quelques grammes de silence : Résistez aux bruits du monde ! Flammarion, avril 2017, 144 p., 10€

