Ecologie et Création

Bonjour Frère François-Régis, je crois savoir que tu as une formation d’ingénieur chimiste, peux-tu nous dire comment tu es venu à l’écologie, un problème qui nous occupe beaucoup aujourd’hui ?

…Les circonstances m’ont fait rencontrer un expert en développement durable qui m’avait expliqué que la terre est comparable à un Titanic qui, avec sa force d’inertie, va droit vers une catastrophe écologique et qu’il est déjà trop tard pour intervenir. Je me suis dit qu’il ne fallait pas déserter un tel sujet.
Avec mon passé d’ingénieur chimiste… J’avais quelque compétence sur l’environnement, tant du côté de celui qui pollue que de celui qui veille à concevoir des usines moins polluantes. J’ai donc choisi l’écologie comme domaine de travail durant ma convalescence et assez vite je me suis rendu compte que l’écologie était un domaine déjà très travaillé. Elle avait donné lieu à beaucoup de publications et de nombreuses prises de conscience.
Qu’est-ce que la foi chrétienne avait à dire sur ce sujet ? Ce qui m’a amené à faire la théologie de la création : d’où vient-elle ? Où va-t-elle ? Est-ce que cette Terre ou cet univers a un Auteur ? Si oui, quelle est son intention ? Pourquoi a-t-il fait cette création ?…
Alors j’ai commencé à travailler la question et à écrire plusieurs textes qui n’ont pas encore trouvé d’éditeurs. Le premier que j’ai écrit (2010) s’intitule « Regards croisés sur la création » : scientifique, philosophique, chrétien et franciscain…

Tout récemment, en avril 2018, tu as terminé un travail sur « Jésus et la Création », peux-tu nous en dire un peu plus ?
J’ai commencé par faire un florilège d’auteurs variés sur l’émerveillement, y compris des scientifiques, des philosophes, etc.

Mais est-ce que l’émerveillement est suffisant pour nous aider à voir les défis écologiques qui sont devant nous ?
L’émerveillement est une bonne base de départ, dans le sens où ça nous rend modeste, car la création n’est pas d’abord une question, mais un fait, une réalité d’une ampleur extraordinaire, prodigieuse en intelligence, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Cette modestie est propre à calmer les ardeurs de l’esprit à vouloir expliquer ce monde sans en avoir pris suffisamment la mesure. En paraphrasant Pascal pour aujourd’hui, on pourrait dire : ‘un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science rend modeste. De leur côté, les hommes de foi sont eux aussi devenus modestes sous les coups répétés des ‘grands maîtres du soupçon’ (Marx, Nietzsche et Freud) et de bien d’autres faits de l’histoire comme les guerres mondiales. Si bien que le dialogue entre science et foi, peut repartir sur de nouvelles bases et devenir plus prometteur. Cela s’avère nécessaire, car l’extraordinaire développement de la science est encore devant nous. Que l’on pense, par exemple, aux recherches actuelles sur le post-humanisme.

Qu’est-ce que tu as découvert de la vision chrétienne et franciscaine par rapport à la création ?
Ce qui m’a beaucoup touché, c’est le fait que dans le projet du Créateur, c’est le Christ qui est visé. Cela est une constante de la tradition chrétienne. L’auteur de la Création, en faisant cet acte de création, a en vue une reprise de toute cette création dans le Christ. Cette première création n’est pas à regarder fermée sur elle-même. Elle est ouverte et pleine de potentialités en vue de cette nouvelle création. Cela élargit la vision que l’on peut avoir du Christ qui est venu pour tout reprendre et amener à Dieu. On n’est pas simplement des hommes de morale, mais des hommes de destinée. Nous entrons dans un projet qui nous précède, comme la création elle-même.
Un deuxième aspect qui m’a touché, c’est la vision de l’homme comme médiateur, c’est-à-dire chargé de faire grandir toutes les potentialités que le Créateur a mises dans la création. Il ne s’agit pas seulement d’être reconnaissant, et de vivre pauvrement, mais il s’agit de prendre conscience de la richesse de ce qui a été déposé dans cette création et de contribuer à son développement pour faire surgir tout ce pour qui en elle permet à l’humanité de vivre pleinement sa vocation. Elle est pleine de potentialités, et nous sommes comme des ‘accoucheurs’ qui doivent faire ressortir ces potentialités.
Le troisième aspect qui m’a touché, c’est l’encouragement à louer le Créateur. Là on rejoint saint François, car nous sommes faits, nous et toutes les créatures, pour louer Dieu. Jean Bastaire1, dans son livre « Un nouveau franciscanisme », souligne en particulier cette dimension de la louange des créatures dans le livre des psaumes, et notamment dans le cantique des trois enfants (Daniel 3). La louange comme notre vocation propre est un aspect qui me paraît important pour nous-mêmes et la création.

Cette louange, n’est-ce pas une manière de reconnaître notre dépendance vis-à-vis du Créateur?
On rend grâce de l’être par le chant de l’être. Le fait d’être nous fait louer celui qui nous a donné d’être.

Est-ce que ta réflexion sur la vision chrétienne et franciscaine de la Création t’a amené à voir quelques pistes d’action simple en faveur de l’écologie ?
Comme action concrète, on a fait, ce qui est dans l’air du temps, un jardin partagé, c’est-à-dire nous partageons notre jardin en sept parcelles où des personnes de l’entourage viennent cultiver.
Comme deuxième action, c’est la formation (sessions à Brive, à Léoncel dans le Vercors, à l’abbaye Maylis, … ), les conférences, les colloques. Je suis même allé à Nancy dans mon ancienne Ecole d’ingénieur où j’ai fait un topo sur l’écologie.

Prochainement, il y aura la journée de la Création, envisages-tu de faire quelque chose sur Toulouse ?
Oui, nous serons quelques-uns à organiser et animer cette journée de prière pour la Création qui a été proposée par les Eglises orthodoxes et catholiques entre le 1er septembre et le 4 octobre. Nous avons retenu la date du 29 septembre chez les Clarisses que nous préparons actuellement avec une équipe de trois.

Cette équipe de trois est composée de qui ?
L’un est un jeune professionnel, polytechnicien, membre de l’association de défense des animaux ‘Notre Dame de pitié’. J’ai trouvé que la référence à Marie était une bonne chose. L’autre est d’origine orthodoxe, où plutôt il est passé à l’orthodoxie précisément pour des questions de théologie de la création, il disait : « Non, la théologie catholique n’est pas apte à répondre à ce défi de la création. » Il est très actif, il a créé une association qui s’appelle « Christian Organization for Ecology » (CORE) dans le cadre de l’aumônerie des étudiants à Toulouse.

Pour notre société de demain, qu’est-ce que tu vois comme réponses face aux problèmes écologiques et économiques ? Faut-il consommer plus, travailler plus ?
Je crois que les problèmes écologiques, bien qu’il y a eu depuis trente ans un considérable travail de fait, de réflexions, de remise en question, d’examen de conscience sur notre rapport à la nature, sont encore devant nous. Quand il y aura des catastrophes, des changements climatiques aux montées des océans, la question deviendra urgente.
L’écologie nous apprend à réduire notre pression sur la nature. On est en train de la pressuriser, et à la fin elle dira : « Ça suffit ! » Dans ce but là, il y a toute une recherche sur le temps de travail. On rejoint l’intuition de Benoît XVI, quand il a fait son encyclique « Caritas in veritate », où il avait demandé que l’on s’oriente davantage vers l’économie non-marchande, par laquelle on cesse d’épuiser cette planète, et dans laquelle on devrait travailler moins, mieux, et tous.
Cela est valable à titre individuel. Je l’ai fait pour moi-même lorsque j’ai voulu entrer chez les franciscains. Plutôt que de démissionner de mon travail, j’ai convenu avec mon employeur de travailler moins, et les franciscains ont accepté que je fasse ma formation franciscaine tout en conservant mon travail.
Récemment, j’ai appris avec plaisir que deux jeunes que j’avais connus se sont orientés dans ce sens là. Ils ont fait leur compte, ils se sont dit : « Pour vivre, ce revenu me suffit, donc j’ai pas besoin de travailler tant. » Et ça marche.
A titre collectif et national, on pourrait dire que Pierre Larrouturou, fondateur du mouvement « Nouvelle donne », a creusé et étudié de près cette question pour voir s’il était possible de faire une réduction du temps de travail dans une société telle que la nôtre.
Un économiste suisse, John Stuz, lui, l’étend au niveau mondial. Il dit qu’il faut réduire notre temps de travail à l’échelle mondiale. Selon lui3, une semaine de travail à trois ou quatre jours annulerait une bonne partie de la croissance des émissions GES projetée d’ici 2030, tout en améliorant la qualité de vie. De fait, combien de jeunes ont un hobby (musique, alpinisme, prière, etc …) Eh bien, avec la réduction du temps de travail, ils peuvent donner plus de temps à ce qui leur plaît, et y donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils quittent peu à peu l’économie marchande avec cette compétition qui nous stresse pour s’orienter vers l’économie gratuite, du partage et de l’échange. Ça pourrait être une solution au chômage, par exemple, et pour les migrants également.

Quelle solution pour les migrants ?
C’est ce que dit Gandhi : « Baissez notre niveau de vie, c’est-à-dire vivre simplement afin que d’autres puissent simplement vivre chez eux et ne pas avoir la nécessité de migrer».

Derrière ce que tu nous dis là, quelle est ta vision de l’homme ?
L’homme est appelé à une vocation extraordinaire, à une vie avec Dieu, celui qui a tout créé. Vivre avec lui, et passer dans l’autre monde, toujours unis à Lui dans le Christ a quoi nous combler, il n’y a besoin de courir derrière bien d’autres choses. Il nous faut développer tout ce que le Christ nous révèle de la vie de Dieu en nous, qui nous est déjà donnée en potentialité par le Créateur : cette ouverture à la vie divine, à l’amour.
Cette idée de vie avec Dieu, c’est l’évangélisation qui la donne. Cela fera diminuer les tensions dans le monde, et on partagera plus volontiers. L’évangélisation est très importante, c’est ce qui doit venir en premier, de manière à ce qu’on puisse partager le travail, les richesses de ce monde, en adhérant à un projet spirituel. On courra moins derrière les illusions de la richesse matérielle.

Comment vois-tu les franciscains s’engager dans les questions écologiques ? Quelle place avons nous à prendre, à développer ?
Plus que l’on ne le croit, beaucoup d’initiatives sont prises au niveau individuel dans les lieux où les frères se trouvent, mais l’idée de fraternité est fondamentale. Fraternité avec les créatures, c’est ce que dit la Genèse : Dieu a créé les animaux, car il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn 1).
L’esprit fraternel tel que saint François l’a vécu constitue une orientation tout à fait fondamentale : nous avons un seul Père, nous sommes donc tous frères et nous avons la même origine vis-à-vis de la création. Le franciscanisme me paraît bien armé pour apporter cette bonne nouvelle.
J’ai été missionnaire en Afrique, d’abord un an à Rwanda et puis dix ans à Madagascar. Voilà comment faisaient les franciscains lorsqu’ils s’implantaient au Rwanda : ils commençaient par proposer de lire l’Evangile, à faire des groupes d’Evangile, ensuite ils parlaient un peu de saint François. Avec cette fraternité qui s’était créée, ils essaient alors de faire un projet de développement qui soit durable. Ils ne viennent pas pour dire : « Voilà, on va vous installer des pompes. » Ils viennent d’abord pour créer une fraternité avec les personnes au milieu desquelles ils se trouvent. C’est plus lent, c’est plus modeste, mais c’est plus durable.