Parti à pied le 6 août de Cluny pour arriver à Assise à la Saint-François, c’est l’aventure qu’a embrassée Fr. Patrice Kervyn. Tout au long de son chemin, il s’est laissé toucher par des lieux et des rencontres. Bon voyage !
Une modeste église de village, entretenue, fleurie, accueillante. Elle invite à la prière. Je m’y verrais bien passer la nuit. Je m’informe et trouve la gardienne des lieux. J’y vais de mon petit refrain de pèlerin : “Je suis un pèlerin d’Assise, frère franciscain. Votre église est très accueillante, est-ce qu’il serait possible d’y passer la nuit ?” D’abord surprise par la demande, elle se ravise rapidement et m’accompagne jusqu’à l’église en me confiant les clés. Je suis comblé. Des “maisons du Bon Dieu”, j’en découvrirai beaucoup d’autres sur mon chemin mais pas toujours là où je m’attendais à les trouver spontanément. Où est le Temple de Dieu ? Temples de pierres et des œuvres qu’ils contiennent, temple de la création, temple de l’accueil d’un soir, temple intérieur…
SE SENTIR ACCUEILLI
Deuxième jour de mon périple à partir de Cluny, où j’ai repris le chemin des pèlerins d’Assise le 6 août. Le temps se gâte rapidement, la pluie s’annonce tenace, le ciel, de plus en plus bas, ne permet plus d’illusions. Elle ne me quittera pas de toute la matinée. La cape de pluie s’avère très efficace, mais pour les chaussures, c’est autre chose. Je me laisse aller à l’humour noir et compare mes godasses au Titanic. Quatre heures de marche énergique.
Pause dans l’église de Saint-Jacques-les-Arrêts où les fresques d’un artiste du XXe siècle ne parviennent pas à me réchauffer le cœur ni le corps. Vers midi, j’arrive à Avenas, à l’entrée du Beaujolais. L’église, d’apparence austère, est ouverte. À peine rentré, mon regard est happé par un autel éclairé qui illumine tout l’édifice de sa présence. Je m’approche et découvre, impressionné, qu’il s’agit d’un magnifique autel sculpté de l’époque romane, impeccablement conservé (voir photo ci-dessous). J’ai besoin de m’asseoir, retirer ma cape, mes chaussures et chaussettes trempées. Je me réfugie dans le transept de droite, devant le tabernacle. Le Seigneur m’en voudra-t-il si je me permets de prendre mon casse-croûte en sa présence, en toute discrétion, enfin à l’abri de la pluie ? Je me sens accueilli, la reconnaissance pour son hospitalité l’emporte sur mes scrupules.
L’AUTEL DE L’ÉGLISE D’AVENAS
Ayant récupéré quelques forces, je me rechausse pour aller voir l’autel de plus près. Le Christ est assis sur un trône élégant, dans une grande mandorle, il a la main levée et bénit avec deux doigts très allongés. J’avais déjà pris sa bénédiction pour moi, sans trop m’en rendre compte : je ne me serais pas autorisé à sortir mon pic-nic devant lui s’il ne m’avait pas béni (“dire, vouloir du bien”). Nous avons l’habitude de dire la bénédiction avant de passer à table. Mais n’est-ce pas lui le premier qui nous bénit ? Sa royauté a quelque chose d’humain, de rassurant, l’enfant de la crèche n’est pas loin. Dans sa main gauche, il tient un livre, le Livre de Vie, sa Parole indissociable du Pain rompu sur l’autel. De part et d’autre de la mandorle, les douze apôtres, répartis en quatre groupes, eux aussi ont chacun un livre à la main, à l’exception d’un seul, les mains en prière. Penchés vers la gauche ou vers la droite, leur Maître, loin de les pétrifier, semble leur donner vie et mouvement. Chacun est typé, identifié par son nom gravé dans la pierre.
Je retrouve aux quatre coins de la mandorle les symboles des quatre évangélistes (le tétramorphe) : l’homme pour Matthieu, l’aigle pour Jean, le lion pour Marc, et le taureau pour Luc. Les panneaux latéraux révèlent d’autres scènes : à gauche quatre épisodes de la vie de la Vierge. La Nativité y figure en bonne place : l’enfant né sur la paille rappelle que le Christ ressuscité est passé par la Croix. “Il enseigne aux humbles son chemin”, comme dit le psaume (…), les puissants ne peuvent comprendre. Une notice me fournit d’autres précisions : en calcaire blanc, l’œuvre date du XIIe siècle et est attribuée à un sculpteur de Cluny. Le dessus de l’autel est creux, comme dans certains autels païens. Sur le côté droit un panneau avec un roi Louis le Pieux (778-840) qui présente la maquette de l’église à saint Vincent.
TRÉSORS CACHÉS DE NOS ÉGLISES
Je rends grâce pour ces trésors cachés dans nos églises de campagne, pour ceux qui les valorisent et en facilitent l’accès, laissent un mot dans le cahier de prières. Dernière action de grâce pour l’hospitalité de notre Seigneur et de son Église, là où elle se fait modeste. Le temps est devenu plus clément. Je reprends le chemin du Beaujolais au Bugey. J’aurais bien d’autres motifs d’émerveillement comme ces hêtres majestueux le long du chemin, dont certains sont historiés et classés. Ou des tilleuls, comme celui d’Ordonnaz, planté en 1601 “sur ordre de Sully lors du rattachement du Bugey à la France”. Ce matin-là, après une nuit bienfaisante dans l’ancien accueil pèlerin qui m’a exceptionnellement ouvert ses portes, la petite église, attenante à l’arbre séculaire, me touche par son extrême simplicité : une voûte basse (du XIIe siècle ?), des vitraux modernes, simples, lumineux. Quelques courbes, quelques traits, des couleurs franches, et des blancs pour la respiration. L’art abstrait du XXe siècle a parfois permis de mettre d’anciens trésors architecturaux en valeur mieux que des images trop démonstratives.
Fr. Patrice KERVYN, OFM

Dans l’église Notre-Dame-de-l’Assomption d’Avenas, l’autel en calcaire blanc du XIIe siècle.
« Je me sens accueilli, la reconnaissance pour son hospitalité l’emporte sur mes scrupules. »