Le pèlerin d’Assise termine habituellement son périple dans la ville où François passa la plus grande partie de sa vie. Après un bref passage dans la cité ombrienne pour la Saint-François, le chemin de Fr. Patrice s’est arrêté quant à lui à l’Alverne, l’un des sanctuaires franciscains les plus saisissants.
Le train jusqu’à Bibbiena dans la vallée, un car de montagne, et le dernier tronçon à pied, mon sac de pèlerin sur le dos, pour cette toute dernière étape. La pluie est revenue, le temps est devenu automnal. Au pied de l’imposante falaise rocheuse, Au sommet, je devine le sanctuaire de l’Alverne et la forêt tout alentour, des hêtres et des chênes majestueux, certains multicentenaires. La lumière peine à se frayer un chemin dans ce décor sauvage. Le gris et le vert sombre dominent. Elles sont loin les riantes collines d’Assise.
LIEU DE CONTRASTES
Premier contraste avec l’austérité du lieu : l’accueil des frères ! Comme si j’étais attendu depuis toujours ! Je n’en reviens pas, je fonds… Je suis introduit dans ma cellule par le frère gardien de l’immense couvent. Ma fenêtre donne sur le cloître et sa toiture de grandes pierres grises, brutes et tachetées de brun. Ici, c’est la montagne, le climat est rude, l’humidité est prégnante. Je prends la température de l’endroit. Les chambres ne sont pas encore chauffées. Je n’ai que mes habits légers de pèlerin. Le frère linger me trouvera une grande bure en gosse laine, elle fera l’affaire, je ne la quitterai pas de toute la journée. Sur la place du Cadran qui accueille pèlerins et visiteurs, la grande croix en bois domine un paysage somptueux : des rayons du soleil couchant se frayent un chemin au travers des nuages bas, encore lourds de pluie, qui couvrent des forêts à perte de vue. La “basilique”, de l’extérieur, est à l’image du reste : modeste, grise, austère. Une fois à l’intérieur – deuxième contraste – je suis saisi, comme je l’ai été la première fois que je suis venu ici : une douceur se dégage de l’harmonie des volumes, les voûtes, les tons pastel…
REGARDS SUR LA NATIVITÉ
Le choc se produit alors devant les grandes céramiques émaillées (les “majoliques”) au fond des chapelles latérales. Elles sont l’œuvre de Andrea della Robbia et de son atelier, à la fin du XVe siècle. Par quel miracle une montagne aussi inhospitalière et des constructions aussi rudes ontelles donné lieu à tant de grâce, de douceur, de beauté retenue, toute intérieure ? Regardons cette Nativité de l’autel de droite. Imaginez-la presque en grandeur nature. La reproduction proposée en offre un détail, pour mieux saisir l’expression des gestes et des regards. Au sommet de la scène, Dieu le Père s’émerveille, bras levés, entouré d’un chœur d’anges, devant l’enfant de la crèche, le Verbe fait chair. La colombe de l’Esprit n’a pas de mots pour chanter le Gloria, mais son attitude, tête et bec inclinés, ne disent pas autre chose. Ils sont portés par des petits nuages en coussinets. Agenouillée, la Vierge contemple l’enfant reposant sur une touffe de verdure, discrète note verte sur fond de bleu très pur et de blanc. Déjà, il n’appartient plus à sa mère : c’est nous qu’il regarde : “pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel.” La beauté du visage de Marie et la joie de l’Enfant pauvre et nu en font une œuvre très émouvante.
LUMIÈRE ET OBSCURITÉ
C’est à l’Alverne que François, un jour de septembre 1224, reçut dans sa chair les marques de la passion de Jésus. Il a fallu attendre quelques siècles pour voir se réaliser là, en ce lieu d’extrême douleur, un tel chefd’œuvre. Il m’a fallu, peut-être, ce détour par l’Alverne, sous une froide pluie d’automne, pour éprouver très profondément cette question qui ne me lâche plus depuis : la beauté la plus lumineuse serait-elle le reflet, transfiguré, de l’obscurité où elle est née ? La joie de Noël ne peut être dissociée de la douleur de la Passion. C’était le cœur de l’expérience mystique du Poverello : voir, éprouver, sentir, de tout son cœur, de tout son corps, par la grâce de Dieu, l’humilité de l’Incarnation du Fils de Dieu, et l’amour de sa Passion
Fr. Patrice KERVYN, OFM
