À cœur
ouvert

Fr. Batitte Mercatbide

« Ne pas me satisfaire d’une aspiration à la vie fraternelle. »
Ne pas me contenter de rêver une vie fraternelle mais l’expérimenter.

Bio express

30 décembre 1960

Naissance à Mauléon, Pays basque


1980

Service militaire à Toulon


Juin 1983

Conseil plénier de l’Ordre franciscain au Brésil


Septembre 1983

Colocation à Bayonne


1984

Noviciat à Pau


1985

Premiers vœux à Pau


2022

Gardien de la fraternité d’Avignon

Fr. Batitte, gardien de la fraternité d’Avignon, a vu le jour dans la “capitale” de l’espadrille située dans la province basque de la Soule, “la plus petite, la plus montagnarde, la plus originale.” Dans son milieu natal, la foi comme la culture sont chevillées au corps. Batitte revient pour nous sur sa bokazioa.*

Propos recueillis par Émilie REY et Henri DE MAUDUIT

“Aussi loin que l’on remonte dans la généalogie, mes racines ont toujours été liées à ce terroir-là. Cette région, essentiellement rurale, se trouve au pied des Pyrénées, et c’est très beau ”, lance Frère Batitte dans un large sourire. “Mes parents n’ont eu que trop peu la possibilité de fréquenter l’école française. Il fallait travailler aux champs et garder les vaches. Ils ont toujours eu des emplois que je qualifierais de subalternes. C’était des gens très simples, droits et honnêtes.”
Chez les Mercatbide, on “vibre” basque ; à l’adolescence, le jeune homme est travaillé par sa culture. Quelques années plus tard, il fréquentera son riche milieu associatif militant. Après le baccalauréat, il fréquente un groupe de jeunes du diocèse (Bayonne) ; il est lui-même en recherche. “On se retrouvait périodiquement pour vivre des temps de prière, de formation, de discernement… Je suis entré au grand séminaire de Dax, dans les Landes, où je suis resté deux ans. L’accompagnement spirituel m’a aidé à comprendre que je portais plutôt un appel à la vie religieuse. Je me suis mis à penser à Charles de Foucauld et à la vie des Petits frères de Jésus.”

ÉPROUVER DE L’INTÉRIEUR

Il poursuit : “Je m’étais préparé pour partir en coopération avec la DCC mais, au dernier moment, j’ai préféré ne pas donner suite à ce projet. J’avais besoin d’éprouver de l’intérieur ce que c’était que le monde de l’armée. C’est un détail important parce que je me savais plutôt antimilitariste mais je ne pouvais me satisfaire d’une telle option qui, somme toute, m’apparaissait théorique. J’avais besoin de vivre, dans ma chair, ce monde que je rejetais par mes idées.”
Fr. Batitte se retrouve ainsi dans la Marine, à Toulon. Désirant rester à terre, on lui affecte un service de vaguemestre. Les Petits frères de Jésus sont présents dans la ville comme à Marseille. “J’ai pu apprendre à mieux les connaître mais je n’ai pas donné suite. La raison que je m’étais donnée à l’époque était qu’il n’y avait pas de Fraternités en Pays basque. Non pas que j’avais nécessairement la nostalgie du pays mais j’exprimais ainsi mon regret que ce visage d’Église ne soit pas présent dans ce diocèse si chrétien.” Plusieurs routes s’ouvrent à lui ; le jeune homme s’imagine “dans une communauté des Béatitudes, moine cistercien ou ermite dans la forêt landaise !” Les frères franciscains ne lui sont pas inconnus. Ils sont établis à Saint-Palais, à une vingtaine de kilomètres du berceau familial. “Mais je ne pouvais pas m’imaginer dans un couvent avec de grands murs : pour moi c’était comme un empêchement au partage d’une vie que je désirais simple et avec les autres.”

ÊTRE PROCHE

Au retour de Toulon, par solidarité, il veut se donner les moyens de continuer à éprouver la condition de vie des siens. Il rentre à Mauléon. Dans la petite cité industrielle, entièrement dépendante de la production d’espadrilles, le travail à la chaîne est de rigueur. Alors qu’il est sur liste d’attente pour intégrer une formation professionnelle de charpentier, il est embauché dans l’une de ces usines d’espadrilles. Il se souvient : “Mon expérience a duré plusieurs mois et là, j’ai appris ce que c’était que de sortir en fin de journée, la tête vidée par des gestes mécaniques. J’ai pu éprouver cela, ne pas me contenter d’y penser mais le vivre à mon tour, à ma petite mesure.” Sa formation de charpentier à peine entamée, Fr. Batitte est rappelé à la maison suite au décès de son père et à la quasi-cécité de sa mère. Toujours guidé par ce désir d’être “proche de celles et ceux qui subissent le poids du jour et qui n’ont rien à faire valoir pour eux”, il s’engage comme manœuvre chez un couvreur de toit.

ENGAGEMENT ET COHÉRENCE

À la rentrée 1983, la démarche de discernement se poursuit sous une nouvelle forme mais toujours avec le même leitmotiv : “Ne pas me contenter de rêver une vie fraternelle mais l’expérimenter.” Il reprend contact avec un ami séminariste, Jean-Louis, de retour de coopération. “Nous nous sommes entendus pour vivre dans un vieux quartier de Bayonne. Nous avons trouvé un appartement et nous nous sommes organisés pour vivre, prier, prendre du temps de réflexion ensemble.” Jean-Louis devient animateur dans une radio libre bascophone. Notre frère trouve du travail en tant que stagiaire dans une maison à caractère social.
Au cours de cette année de colocation, les deux jeunes hommes se rapprochent des franciscains de Saint-Palais. “L’un d’entre eux s’était mis à travailler comme ouvrier agricole au service de petits paysans qui avaient besoin de main-d’œuvre. À travers notamment ce choix, je voyais des frères cohérents avec ce que l’Ordre franciscain venait de manifester à Salvador de Bahia.”
En effet, quelques mois plus tôt, en juin 1983, les frères réunis en Conseil plénier au Brésil, ont vécu un temps fort. Après avoir visité des favelas, ils décidèrent d’arrêter leurs travaux pour adresser un appel pressant à tous leurs frères afin qu’ils ouvrent les yeux sur les situations de misère qui les entouraient.
Cette fidélité à la radicalité proposée par François d’Assise à la suite du Christ rejoint notre jeune Batitte. Âgé de 23 ans, il décide de continuer à toquer à la porte des franciscains de la Province d’Aquitaine en compagnie de Jean-Louis et d’un autre Jean-Louis (Fr. Jean-Louis Galaup).
Entrés au noviciat, ces derniers “osent suggérer” de poursuivre leur cheminement en milieu populaire. Ce sera une cité HLM, à Pau. Fr. Batitte redit avoir été très marqué par la bienveillance et l’écoute des frères qui ont accepté ce déplacement de l’expérience du noviciat. “Pour moi, ce fut à nouveau, de la part des frères, un signe fort et concret qui m’a convaincu de tâcher de répondre de manière cohérente à l’appel de Dieu.”

*Vocation en basque

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